25 Septembre 2010
François Niney est intervenu à Grenoble les 20, 21, 22 septembre 2010 auprès des étudiants du Master.
Le cinéma est à la fois fiction (un plan de chien enragé ne mord pas) et documentaire (tout film documente au moins ses acteurs en train de jouer). Mais bien évidemment la visée documentaire diffère considérablement de celle de la fiction. La vérité historique n'est pas du même ordre (de production, de croyance) que la vérité dramatique ; elles ne réfèrent pas au monde de la même façon (même si elles peuvent se mêler) et ne relèvent pas du même geste, de la même intention (ni donc de la même réception).
La nature documentaire du cinéma, de la prise de vue comme prise de vie, engage deux ordres de questionnement :
1) la question de la réalité et de la vérité à l'écran vis à vis du spectateur ;
2) la question de la relation filmeur/filmé, des conditions et directives de tournage, qui vont elles-mêmes guider (tromper ou détromper) la croyance du spectateur. Car filmer, plus spécialement en documentaire, ce n'est pas seulement représenter, c'est aussi agir directement sur le monde et ses protagonistes ; en documentaire bien plus qu'en fiction, la relation entre l'action du filmeur et les actions des filmés (au tournage comme au montage) est non seulement le moteur du film, mais partie intégrante de son motif et de son sens. Si en fiction, selon l'adage godardien, "un travelling c'est une question de morale" (comme on dirait "le style c'est l'homme"), en documentaire "la morale est bien une question de travelling" (citation moins connue mais antérieure de Luc Moulet), dans la mesure où on ne filme pas les personnages d'une histoire (une représentation au sens théâtral et une vision d'auteur) mais l'histoire des gens, qui valent et répondent d'eux-mêmes devant la caméra, et le documentariste doit répondre de leur présentation. C'est pourquoi nous parlerons ici d'analyse "esth-éthique", au sens où la compréhension du documentaire exige une critique pragmatique en plus d’une analyse sémiologique (ou iconique).
Pendant trois journées nous passerons donc en revue, dans une perspective non pas académique mais "esth-éthique", les principales formes, manières, méthodes, dispositifs, styles, inventés par les documentaristes, tout au long de l'histoire du cinéma, pour appréhender le réel, ou disons plus modestement certains aspects de la réalité, et en rendre ou tirer certaines vérités. (Vérités, remarquons le en pensant au remontage d'archives, toujours sensibles au devenir).
Extraits de films projetés :
1) Introduction : Entre réel et fiction
- « Collision frontale », de Marcel Lozinski (Pologne, 1971)
- « Salam Cinema », de Mohsen Makhmalbaf (Iran, 1995)
- « The Thin Blue Line » (Le dossier Adams) d’Errol Morris (USA, 1988)
2) "La vie sur le vif" ?
- "Lumière ou le cinéma à vapeur" d'André Labarthe (France, 1995)
- "Sortie d'usines", de Harun Farocki (Allemagne, 1993)
- "Nanook", de Robert Flaherty (USA, 1921)
- "L'homme à la caméra", de Dziga Vertov (URSS, 1929)
- "Les hommes le dimanche", de Robert Siodmack et Edgar Ulmer (Allemagne, 1929)
3) Propagande, reconstitution, remontage et démontage
- "Night Mail", de Basil Wright et Harry Watt (prod.John Grierson, 1936)
- "Sachez reconnaître votre ennemi : le Japon", de F. Capra et Joris Ivens (USA, 1944)
- "Les statues meurent aussi", d'Alain Resnais et Chris Marker (France, 1950)
- "Hiroshima mon amour", d'Alain Resnais (1959)
- "Radio Bikini", de Robert Stone (USA, 1984)
- "Hiroshima", docu-fiction de Paul Wilmhurst (BBC, 2005)
- "La bombe" (The War Game), de Peter Watkins (BBC, 1966)
- "Missile", de Fred Wiseman (USA, 1987)
- "Fog of War", d'Errol Morris (USA, 2003)
4) La voix de son maître, la voix-je et la voix des autres
- « Les maitres fous » de Jean Rouch (France, 1954)
- « Sans soleil » de Chris Marker (France, 1982)
- « Chronique d’un été » de Jean Rouch et Edgar Morin (France, 1961)
- « Le joli mai » de Chris Marker (France 1962)
- « La dame lavabo » d’Alain Cavalier (France, 1988)
- « La jungle plate » de Johan van der Keuken (Pays-Bas, 1978)
- « Route One » de Robert Kramer (France, 1988)
5) L'archive et la reprise de vues
- « Nuit et brouillard », d’Alain Resnais et Jean Cayrol (France, 1954)
- « Mother Dao, chronique coloniale » de Vincent Monnikendam (Pays Bas, 1992)
- « Volkswagen Komplex » de Hartmut Bitomski (Allemagne, 1984)
- « Récits d’Ellis Island », de Georges Pérec et Robert Bober (France, 1980)
- « Le cas Howard Phillips Lovecraft », de Trividic et Bernard (France, 1998)
- « Veillées d’armes », de Marcel Ophuls (France, 1992)