29 Novembre 2010
Dans le cursus du Master, le "film sur la parole" est le premier exercice conçu comme un film à part entière. Il est écrit et tourné par les étudiants pendant 3 semaines du mois de décembre, puis montés pendant 2 semaines en janvier.
Lettre d'intentions aux étudiants :
Face à la caméra, s’adressant à un interlocuteur hors-champ, une personne témoigne, raconte ou se raconte, tandis que les questions demeurent off, peut-être même coupées au montage, donnant l’impression d’une parole autonome, auto-générée et implicitement porteuse de réel.
C’est sans doute là le dispositif le plus immédiat de la parole documentaire filmée, amplifiée par sa systématisation par l’image télévisuelle. Sans vouloir évacuer cette figure devenue stéréotypée – elle n’est en rien a priori illégitime – j’aimerais néanmoins que dans le cadre de notre travail nous en évitions le caractère impensé.
Nous nous poserons donc la question des limites de cette mise en forme de la parole, et des réponses singulières qui peuvent être trouvées pour chaque film, chaque rencontre, chaque interlocuteur particuliers, chaque parole.
La mise en scène de celle-ci est la première chose sur laquelle nous porterons notre attention. Qui parle ? À qui ? De quoi ? Et comment le film se place-t-il pour en rendre au mieux compte ? L’interview, l’entretien, ne sont sûrement pas les seuls motifs qui peuvent nous faire entendre les mots et leur sens. Le dialogue, la discussion, le débat, le manifeste, le monologue intérieur, le récit, les texte lus, la poésie, la chanson... – la parole sait prendre des formes multiples, dont le niveau de langue vient encore amplifier la diversité : parlée ou écrite, naturelle ou plus préparée, accent pointu ou chantant, etc.
A cette extrême richesse de la parole, il ne me semble pas qu’il y ait de place unique ou évidente pour celui qui la capte ou la reçoit. La position de celui qui écoute et filme, sa prise en compte par le dispositif de filmage, me semblent les préalables nécessaires au contrat implicite que pose un film – notamment dans son rapport au réel, voire à la vérité.
Et c’est là un second point qui m’intéresserait. Le cinéma du réel est-il nécessairement un cinéma de vérité ? Quelle place peut y trouver le mensonge, ou l’erreur, ou l’oubli, ou le refus de parler ? Il me semble que si le cinéma a quelque chose à faire avec la parole, c’est aussi dans ses à- côtés : le silence et les silences, les périphrases ou la logorrhée, la confusion, la contradiction..1Là où la parole sait, mieux que tout autre, taire et masquer, le cinéma peut peut-être l’aider à dire.
Durant les deux premières journées de notre atelier (2 et 3 décembre), je vous présenterai la façon dont je me suis heurté à ces questions à travers mes trois films documentaires : Nissim dit Max, où la circulation de la parole suit le cadre familial, puis en déborde ; Le Brahmane du Komintern, film à la voix off omniprésente, où la parole sert le récit historique, en faisant des pas de côté ; Adieu la rue des Radiateurs, où la parole littéraire (de l’écrivain Mathieu Riboulet) se substitue à un dessein plus intime.
J’aimerais que, de votre côté, vous puissiez déjà préparer les grandes lignes de votre projet de film à réaliser pour cet atelier, en nous faisant part, le cas échéant, de vos expériences passées dans le domaine de la captation de parole (film, enregistrement...). Vous pouvez également apporter des extraits de films existant (documentaire ou fiction), où vous trouvez que la parole est filmée d’une façon particulièrement intéressante.
Nous consacrerons les dix jours restants (du 6 au 10 décembre et du 13 au 17), à vos films : préparation, filmage, dérushage, en faisant de chacune des étapes une occasion de réfléchir à ces questions de mise en scène et de « vérité » que j’aimerais plus particulièrement explorer.
Vladimir Léon