27 Novembre 2013
"Au fond mon objectif, c'est pas de faire du cinéma, mais de dire ce pays-là, ces gens-là."
"Dans une revue qui s'appelle Images, où je parle beaucoup de notre rencontre avec Michel Brault, je dis : « L’un est venu à l'image par la parole, l'autre est venu à la parole par l'image, et c'est la rencontre dans Pour la suite du monde » . Michel était le caméraman exclusif de Pour la suite du monde, ou presque.
Ce qu'il m'a apporté, Michel, c'est pas tant un travail sur l'image, mais la capacité de tourner dans n'importe quelles conditions. Techniquement, il n'y a rien qui l'arrête. Il est toujours en face d'une situation impossible, il trouve toujours un stratagème pour en venir à bout, et ça c'est formidable, parce que moi, je n'étais pas encombré de caméra. Pour la suite du monde, c'est la première expérience véritablement d'un cinéma de la parole.
"J'avais un magnétophone qui était aussi archaïque que la pêche aux marsouins, un magnétophone immense qui pesait 40 livres, c'était un monstre! Que je traînais partout, j'étais un peu maladroit. Puis là, en cours de route, petit à petit, j'ai appris l'usage du magnétophone. C'est ce que je dis toujours aux gens qui veulent faire la même chose que moi : « Laissez-faire la caméra, faites du magnétophone! » . Parce que là, tu apprends à établir un rapport entre cette bête-là, parce que c'est une bête qui prend de la place. Faut que tu deviennes un interlocuteur privilégié pour les gens. Au fond, aujourd'hui, je sais à peu près comment faire ça, de sorte que là, la caméra ne m'embarrasse plus. Parce que j'ai apprivoisé le magnétophone. J'ai fait, j'sais pas combien d'émissions de radio, des centaines d'émission de radio avec un magnétophone.
Puis là, j'ai senti qu'imperceptiblement mon langage changeait. Je ne parlais plus de la même façon, parce qu'il fallait que je m'accorde à leur langage, fallait que je trouve des mots, au début c'était assez maladroit, puis petit à petit, je pense ça devient moins maladroit, j'arrivais à me transformer moi-même."
"C'est ce que la plupart des gens de cinéma ne veulent pas admettre. Ils ne veulent pas admettre que c'est pas moi qui fait le film. Moi je suis le premier témoin, témoin privilégié, j'ai certaines influences sur le film, mais c'est pas en tant que cinéaste, c'est en tant que complice et participant. Je t'ai déjà dit, je pense, que j'ai tendu la pêche aux marsouins avec les gens de l'île aux Coudres, et la plus belle médaille que j'ai eue dans ma vie, c'est que l'année suivante les gens de l'île aux Coudres m'ont nommé maître de pêche. Et c'est ça qui démontre le rouage dans lequel je me trouvais.
Il faut que je sois complice, est-ce que c'est le bon mot? Que je participe à l'action, à la pensée, à la réflexion de ces gens-là, pour que je les aie à coeur. Faut que je devienne... que je cesse d'être étranger!"
Propos de Pierre Perrault recueillis par Gwenn Scheppler et Ysabel Escriva, 8 et 21 juillet 1998.